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44e colloque : Temps et contretemps à l’École

44e colloque :  Temps et contretemps à l’École

L’école en crise chronique ?

 

S’il est une institution qui, de façon à la fois pratique et symbolique, marque le fonctionnement du système scolaire, c’est bien « l’emploi du temps » des établissements. Tout au long d’une année, il gouverne la vie des membres de la communauté éducative, élèves et enseignants au premier chef.

Mais l’emploi du temps n’est pas seulement affaire de chronologie ; il définit aussi les modalités d’occupation de l’espace scolaire, et la structuration des enseignements. Il s’inscrit dans un système de normes, arrêtées nationalement de façon (beaucoup trop) rigoureuse. Il incarne une forme scolaire qui, comme la tragédie racinienne, doit mettre en cohérence le temps (les heures de cours), le lieu (la salle), l’action (les tranches du programme). En 2006 déjà, un colloque de l’AFAE s’interrogeait sur cette « concordance des temps ».

Cette organisation annuelle participe d’une représentation temporelle plus large. Celle-ci s’est longtemps caractérisée par la référence à un héritage : l’éducation devait transmettre une tradition, nourrie des grands textes du passé. Elle était aussi retour de permanences : un rythme saisonnier, des rentrées jusqu’aux rites de passage de fin d’année, scandait de façon sécurisante la vie scolaire. Depuis plus de deux siècles, une autre perspective s’est imposée, tournée vers l’avenir, confiante dans la perfectibilité de l’esprit humain, selon la formule de Condorcet, et dans l’évolution des sociétés. Il s’agit désormais d’aider l’élève à se construire comme personne et comme citoyen.

Or ces imaginaires sont aujourd’hui fragilisés, et ce n’est bien sûr pas propre à l’école. Beaucoup l’ont souligné : l’avenir inquiète plus qu’il ne suscite l’espérance d’un progrès. L’activité même de l’homme semble se retourner contre lui. A l’ère de l’anthropocène, les conditions de survie de l’espèce, loin de promettre un monde meilleur, suggèrent une apocalypse. Le passé se dérobe tout autant ; ses figures et représentations traditionnelles sont mises à l’épreuve du soupçon. On a beau invoquer un « devoir de mémoire », l’histoire peine à mettre en accord les souvenirs. L’évolution de plus en plus rapide des techniques et des modes de vie, même à l’échelle d’une vie humaine, rend les leçons de l’expérience inaudibles.

Situation éminemment problématique pour l’école, qui s’était définie comme culte de la tradition et/ou comme préparation à l’avenir. Que devient-elle quand il n’y a plus de profondeur de champ, quand nous vivons dans l’immédiateté, dans l’échange « en temps réel » qu’appellent nos courriels ou textos ?

S’ajoute à cela un paradoxe. Alors même que nous vivons le temps sur le mode du présentisme, selon l’expression de F. Hartog, nous avons le sentiment qu’il subit une accélération permanente. Le présent en devient fluide et insaisissable. La figure moderne est celle du surfeur, en équilibre problématique sur une vague qui n’en finit pas de déferler. Cet effacement des références stables nourrit l’individualisme : l’homme contemporain, pour qui les institutions classiques aussi bien que les expériences passées perdent leur sens, est renvoyé à ses propres virtualités sans horizon. A défaut de rôles prédéfinis et socialement reconnus, il lui reste à entretenir des « compétences », une capacité à s’adapter à des contextes imprévisibles.

Tels sont quelques-uns des défis proposés aux acteurs de l’éducation, et d’abord aux élèves. Peut-on redéfinir les modalités de l’école dans le cadre de ces nouveaux « emplois du temps » ?

    • Entre temps long des parcours des élèves et temps court des années scolaires, comment gérer le fil du temps ? Qu’est-ce qu’« être à l’heure » dans un parcours scolaire, quand on parle de formation « tout au long de la vie »  ?
    • A quelle vitesse s’écoule le temps de l’école ? Tantôt il semble qu’il aille trop vite, soumis à la pression des programmes qu’il faut finir. Tantôt au contraire il stagne et se répète, condamnant à l’ennui (faut-il tuer le temps ?). Comment organiser les rythmes des apprentissages ? Que nous disent les sciences cognitives à ce sujet ?
    • Comment articuler travail scolaire et travail « personnel » des élèves ? Qu’est-ce que le « temps de travail » des enseignants ?
    • Qui définit les emplois du temps, que la réforme des lycées, par exemple, conduit à revoir sans cesse pour des groupes de moins en moins homogènes ?
    • Du numérique à l’intelligence artificielle, quel est le temps nouveau de « Petite Poucette » ?
    • Le temps de l’institution est devenu celui des réformes : que nous dit l’histoire, par exemple sur la question des rythmes scolaires ?
    • Comment piloter le système éducatif, entre pression du court terme qui ne cesse de générer des réformes et tentatives pour retrouver une perspective temporelle (les « lois d’orientation ») ?
    • Le temps est-il pour l’école celui de l’érosion (si le niveau de la mer démographique monte, celui du rivage baisse), ou celui du progrès et de la perfectibilité ?
    • Quelles conceptions du temps véhiculent les différentes disciplines : l’histoire bien sûr, mais aussi les lettres, les sciences ou la philosophie ? La didactique est-elle condamnée à une opposition manichéenne entre transmission d’un héritage et préparation de l’avenir ?

Alain BOISSINOT

Président du Conseil scientifique

 

 

 

Vous pouvez retrouver les actes du colloque dans le numéro 179 (2023/3) de la revue Administration & Éducation

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