Témoignages présidents de l'AFAE

2012-2013 : Présidence de Roger-François Gauthier

2012-2013 : Présidence de Roger-François Gauthier

A-A : ce que dit un bégaiement

 

Roger-François GAUTHIER

 

Administrateurs mes frères ? Acteurs mes rêves ? Je crois que c’est pendant la courte période où je présidais l’AFAE qu’est intervenu un vote plutôt étrange au sein d’une association : son changement de nom… sans changement de sigle. Le second « A » de AFAE ne se déclinait soudain plus en « administrateurs » mais en « acteurs » ! Qu’une grosse association abandonne son signe de reconnaissance fondateur, consistant à rassembler des personnes impliquées dans la gestion de ce que la faiblesse de la pensée fait désigner du syntagme de « système éducatif français », pour lui préférer le substantif équivoque et mou d’acteurs (et non « professionnels », ce qui eût été une autre logique encore) et qu’elle le fasse en somme en catimini, sans changer son nom, c’est l’éloquence même !

Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Voilà du même coup l’AFAE soudain plongée moins en pleine rhétorique qu’en pleine métaphysique ! Je ne sais pas si ce changement de nom, volontariste et incantatoire, a illico entraîné l’afflux effectif dans les rangs de l’association des supposés bataillons de professeurs des écoles et des lycée qui piaffaient d’y entrer, ni même si les anciens ont pu craindre un de ces « remplacements de population » qui alimentent ailleurs de discutables fantasmes ; mais je me demanderais volontiers dans quelle mesure on ne peut pas voir dans cette hésitation, dans ce flou de l’auto-reconnaissance, un de ces charmes du paysage français, qui, moins souvent désigné par les guides que le roquefort ou le camembert, n’en préserve pas moins un goût tellement caractéristique.

D’un côté l’AFAE représente un collectif reconnu dans l’éducation en France, un capital de confiance que représentent à égalité la revue et le colloque annuel, mais d’un autre côté sa place est typique et son changement de nom sans changement de sigle montre que tout cela n’est pas simple. J’avais été frappé quand j’avais dû aller présenter l’AFAE à des ministres ou à des cabinets qui s’installaient de voir que nous étions en général connus, mais pas « reconnus » : je me souviens que lors des débats dits « de la refondation », plusieurs membres de l’AFAE étaient impliqués, dont l’auteur de ces lignes, mais que l’AFAE était ignorée, non convoquée, non citée. Et, recherchant les causes de cette tenue en lisière, j’ai aperçu deux spécificités, voisines, de l’AFAE : elle ne conclut pas et ne revendique pas.

Justement : dans ce paysage que nous connaissons, saturé de groupes et de personnes qui défendent leur intérêt, en l’habillant souvent du qualificatif de « général », et qui croient trouver à leur porte l’alpha et l’oméga de toute réforme éducative possible ; sur cette scène éducative française, si souvent bloquée par la survivance d’idéologies diverses d’autant plus néfastes qu’elles ne se pensent plus depuis longtemps, n’est-ce pas la grande qualité de l’AFAE que de tenter d’échapper à ces clivages ?

Je répondrais sans doute oui, et c’est pour ce motif que je renouvelle mon adhésion à l’AFAE, mais peut-être aussi en me demandant si quelques conditions ne pourraient pas accompagner l’amélioration de son positionnement :

  • éviter que le fait de ne pas vouloir se couler dans les clivages préexistants détourne l’AFAE précisément d’y mettre le nez, et d’aider tous les « acteurs » à y voir clair dans les idéologies en question, à regarder les monstres de près, pour en faire fondre l’apparence ;
  • moisson faite, dégager le bon grain de l’ivraie en n’hésitant pas sur quelques sujets à conclure. Pourquoi devrait-on à ce point craindre de dégager une « position » de l’AFAE ? Peut-être plus d’ « acteurs » nous rejoindraient-ils s’ils connaissaient le sens de la pièce qu’on joue ?
  • se demander dans quelle mesure le non-engagement de l’AFAE ne ressemble pas un peu trop parfois au « devoir de réserve » des fonctionnaires de l’encadrement que nous sommes trop majoritairement : là aussi réfléchir sur nos distances vis-à-vis de l’institution me semblerait une piste salutaire. Je ne dis même pas distance vis-à-vis du pouvoir politique, qui me semble à peu près respectée, mais de l’institution, de ses corps, de nos propres clivages et articles de foi. De façon taquine, je me demanderais si le jour où les présidents de l’association ne seront plus quasi systématiquement des inspecteurs généraux ne sera pas aussi celui où de nouveaux « acteurs » comprendront qu’en les invitant l’idée n’est pas de recruter des figurants.

Allons un peu plus loin : A-A, administrateurs/acteurs ? La question est bonne. Cryptée, mais bonne. Car il s’agit bien dans ce pays de tenter de surmonter le clivage majeur installé par l’histoire entre les personnels enseignants et l’administration de l’Éducation nationale. Ignorance, incompréhension, méfiance sont les ingrédients de base des rapports entre deux grandes corporations qui n’ont pas les mêmes référentiels et concepts et peuvent vivre au fond heureuses en s’ignorant et en s’évitant. Si on ajoute à cette fracture les survivances d’autres phénomènes à résonance nobiliaire au sein d’un appareil d’État qui n’a jamais bien compris que nous étions en république, on peut alors se dire que si l’AFAE veut inventer le concept œcuménique d’ « acteurs de l’éducation », elle doit prendre encore plus conscience du caractère tout simplement révolutionnaire de sa prétention.

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