ATELIER Entre libertés et responsabilités, quelle fabrique collective de la décision en écoles et établissements ?

La vie en académie

ATELIER

Entre libertés et responsabilités, quelle fabrique collective de la décision en écoles et établissements ?

 

Lycée Chevrollier – ANGERS

Le 21 janvier 2026

 

Les écoles et les établissements sont amenés à interroger de façon croissante leurs fonctionnements et leurs choix au regard de la réussite des élèves pour construire des choix collectivement portés et assumés. Entre liberté pédagogique et responsabilités croissantes vis-à-vis des attentes de la société, leur autonomie est réaffirmée sans que la question d’une prise de décision collective effectivement engageante pour tous les membres de la communauté éducative ne soit traitée.

L’AFAE Nantes-Rennes, à la suite du récent colloque national « Libertés et responsabilités des acteurs de l’éducation » convie Mme Frédérique Weixler et M. Bertrand Sécher, coauteurs de « La construction de la décision en éducation » (Berger-Levrault) à apporter leur éclairage sur cette question. Des témoignages et des temps d’échanges sont par ailleurs mis en œuvre pour partager les pratiques et les questionnements.

 

Programme

  • 13h30/14h : accueil des participants
  • 14h/14h10 : ouverture : Mme Sandrine BODIN, IA-DASEN du Maine-et-Loire, M. Wiliiam Marois, Président de l’AFAE.
  • 14h10/15h10 intervention de Mme Frédérique WEIXLER et M. Bertrand SECHER et échanges avec la salle
  • 15h10/15h30 : pause-café
  • 15h30/16h30 : témoignages dans les 1er, second degré et enseignement supérieur de situations (contexte, démarche, outils, bilan…) de prises de décisions engageant les équipes
  • 16h30/16h55 : propos conclusifs de Mme Frédérique WEIXLER et M. Bertrand SECHER
  • 16h55 : clôture

 

Inscription :

Adhérent AFAE (gratuit) :

Non-adhérent AFAE (participation aux frais 10 €) :

“Chefs chahutés : le cas des contestations de directions scolaires” par Cécile SENABRE

Chefs chahutés : le cas des contestations de directions scolaires

 

Cécile SENABRE

 

            À l’occasion d’un Diplôme universitaire de Pilotage des organisations publiques (dit D.U.P.O.P.), effectué dans le cadre d’un partenariat entre l’IH2EF et l’Université de Poitiers, j’ai mené un travail de recherches sur la conflictualité en EPLE.

Ma problématique était « Que nous apprend l’expérience subjective des chefs d’établissement contestés ? ». En d’autres termes j’ai étudié pendant quelques mois les cas d’hyperconflits en collège ou en lycée, quand un mouvement de contestation de l’autorité du chef prend progressivement de l’ampleur, gagne l’ensemble de la communauté éducative et parvient même à paralyser le bon fonctionnement d’un EPLE. N’est-il pas vrai que, dans nos métiers, nous entendons régulièrement parler de tel ou tel établissement, où « ça ne se passe pas bien » entre un chef et ses équipes, à tel point que parfois la presse locale s’en fait aussi l’écho ?

            Je n’ai pas cherché dans mon travail à établir une quelconque exactitude scientifique sur les causes de ces phénomènes ; je n’ai pas enquêté non plus sur le ressenti de toutes les parties prenantes de tels conflits, ce qui aurait été utile pour dégager une vision panoramique par exemple ; je n’ai pas davantage cherché à comprendre qui était responsable, ni de quoi, ce n’était pas mon propos. Non, je souhaitais juste recueillir une parole trop peu entendue me semble-t-il dans ce cas-là : celle du chef chahuté.

            J’ai donc récolté le témoignage des personnels de direction qui avaient été rendus officiellement responsables de la situation ; et je leur ai posé toujours les trois mêmes questions : Comment avez-vous traversé cette crise ? Comment avez-vous fait face ? Qu’en avez-vous retenu ?

            Si la demi-douzaine de collègues que j’ai rencontrée à cette occasion m’a parlé avec une sincérité et un courage que je ne peux que saluer, je dois cependant exprimer ma sidération devant la violence de ce qu’ils ont vécu. En effet ces hyperconflits en établissement aboutissent souvent à une mise en accusation publique, voire un lynchage médiatique pour les collègues concernés. De même ces crises se terminent quasi-systématiquement par le départ de la direction (mutation sur un autre poste, suspension, éviction). A l’appui de ma réflexion, je convoquais un article de Rémi Casanova, publié il y a quelques années déjà et que je trouvais fort passionnant, car notre auteur y sonde ce qui se cache dans l’inconscient collectif du corps enseignant. (« Un chef d’établissement bouc émissaire : itinéraire d’une victime volontaire ? » Spirale, Revue de recherches en éducation, 2019)

            Pour lui des mécanismes souterrains très puissants s’expriment dans ces rituels d’exclusion de la tête de la direction, qu’il séquence invariablement en quatre étapes : discrimination-stigmatisation-affaiblissement-éviction du perdir. Or notre auteur ne conclut pas pour autant de tels épisodes que leur gravité est préoccupante, car pour lui la violence de ce qui se passe dans ces moments-là n’a rien à avoir avec le cœur du métier d’enseignant, à savoir la pédagogie. Il tient un propos rassurant, qui garantit la bonne santé de notre institution scolaire. C’est là que je me permets de ne pas être tout à fait d’accord avec lui.

            En effet ce qui m’est apparu prégnant dans les témoignages recueillis, c’est le rapport de force qui s’installe entre équipes enseignantes et équipes de direction. Ce rapport de force n’est pas sans évoquer les problèmes de gestion de classe. De même qu’on exclut de cours un élève perturbateur, de même on exclut de son établissement un chef contesté. A l’échelle d’une salle de classe, ou de l’enceinte d’un EPLE, l’exclusion paraît de toute évidence dans notre culture professionnelle comme un remède de choix. Pour qui souhaite rétablir l’ordre, exclure reste une solution aussi expéditive qu’efficace. Elle empêche cependant le dialogue, l’accompagnement, le partage de responsabilités.

            Les embarras liés dans le métier d’enseignant à la gestion du groupe d’élèves représentent peut-être encore un impensé institutionnel. Dans les circulaires, programmes disciplinaires et autres textes officiels, l’élève est souvent évoqué dans sa dimension singulière, plus rarement dans son appartenance au groupe. Or c’est sous cette modalité que l’enseignant appréhende aussi chacun des jeunes qu’il a face à lui. Dans les revendications enseignantes on devine, me semble-t-il, une absence de prise en compte de cette difficulté du métier liée précisément à la gestion du groupe, voire une absence de reconnaissance quant à la pénibilité engendrée par la conduite de ce collectif instable qu’est la classe.

            Manque d’autorité du maître. Manque d’autorité du chef. Dans un cas comme dans l’autre, quand est prononcée l’exclusion, ce qui se dit en creux, c’est qu’une autorité n’a pas trouvé à s’exercer. Par conséquent, si l’on considère que le cœur du métier d’enseignant, c’est aussi de tenir sa classe, alors l’éviction d’un chef d’établissement, rendu bouc-émissaire des désordres et des dysfonctionnements de sa propre organisation, nous paraît plutôt un indicateur éloquent. Et il témoigne – regrettons-le- de la mauvaise santé de notre institution scolaire.

            En croisant tous les témoignages de perdirs que j’ai pu recueillir, je pourrais synthétiser la façon dont ils ont traversé ces crises à l’aide de trois mots simples : souffrance, solitude et silence.

Chaque mot convoquant singulièrement les deux autres, car plus le silence et la solitude sont grands, plus aiguë est la souffrance. Et plus la souffrance est intense, plus la solitude et le silence s’installent.

            Souffrance : dans ces hyper-confits la violence qui explose est parfois extrême. Elle a des conséquences aussi réelles que dramatiques sur la situation personnelle et familiale des collègues impactés, voire sur leur santé physique et psychologique. Cela est difficile à accepter à l’heure où la qualité de la vie et des conditions de travail s’est installée (fort heureusement !) dans nos environnements socio-professionnels.

            Solitude : l’isolement que les chefs contestés expérimentent dans ces moments de crise est immense ; le sentiment d’être lâchés par les collègues, mais également abandonnés par leur institution, est profond. Cette impression de solitude alimente dans leur discours une aigreur vis-à-vis de la hiérarchie et les place également dans une sorte de position schizophrénique, puisqu’ils représentent aux yeux de tous une institution contre laquelle ils entretiennent intimement une rancœur tenace.

            Silence : c’est certainement ce qui m’a le plus troublée. Les collègues chahutés ne se sont sentis à aucun moment suffisamment entendus. Comme si leur version des faits ne leur avait été jamais réellement demandée. Plus grave, ils m’ont dit ne pas avoir eu de retour, ni sur ce qui leur avait été reproché exactement pendant l’explosion de la crise, ni sur ce qui avait été ensuite établi au plus haut niveau, une fois celle-ci résorbée. Ils gardent de ces épisodes une série d’incompréhensions, de questionnements, de doutes.

            Pour le dire autrement le silence qui entoure ces différents vécus marque une absence patente d’accompagnement. Or le silence rend difficile la reconstruction personnelle et entrave le développement professionnel. Car il faut pouvoir parler à voix haute, mettre en mots pour autrui ce qu’on traverse et déposer au creux d’une oreille attentive ce qui ne va pas, pour rendre clair à soi-même ses propres empêchements, progresser dans sa posture et consolider son identité. Ce silence est de plus particulièrement encombrant à l’heure où les formations à la gestion de crise ne cessent de nous vanter les mérites du retour d’expérience, les bienfaits du Retex. Mais quel Retex dans ces situations d’hyperconflit en établissement ? Pour le perdir ? Pour les équipes ? Aucun. Le chef est parti. Une page a été tournée. Et c’est tout.

            Certes les collègues ont tiré des leçons de ces douloureux épisodes. Ils l’ont fait de façon plus ou moins consciente. On peut même affirmer que cette expérience de la crise et de la contestation de leur autorité a constitué une étape importante de leur cheminement professionnel ; ils ont appris bon an mal an l’art de la transgression. Touchant du doigt la complexité de leur tâche, ils ont saisi l’importance d’oser parfois le pas-de-côté et même de s’octroyer dans certains cas le droit de ne pas obéir. Mais à quel prix ! (Sur le sujet du développement professionnel du perdir, on peut se reporter au très éclairant article de L. Progin, L. Ria, M. Lechat et P.E. Raffi : « Devenir cadre scolaire en France : une mise à l’épreuve ? Enquête sur les trois premières années d’entrée en fonction », 2022).

            Au terme de mon analyse il m’est apparu que notre institution, si elle voulait être réellement accompagnante (mais une institution, c’est-à-dire un appareil social qui édicte des normes et des classifications, peut-elle être accompagnante ?), devrait prendre très au sérieux ces épisodes d’hyperconflits en EPLE, afin de les considérer, non pas seulement comme des dysfonctionnements problématiques, appelant des solutions radicales, mais bien plutôt comme des occasions uniques, pourvoyeuses inattendues d’apprentissages individuels et collectifs.

            Ainsi des dispositifs pourraient être mis en œuvre dès les premiers signes de crispations et bien avant que le conflit n’éclate, voire pourraient être proposés systématiquement de façon préventive. Nul doute qu’ils permettraient de réguler les tensions inter-personnelles et favoriseraient le développement professionnel à différents niveaux :

  • à un niveau individuel : accompagner les chefs, c’est-à-dire leur proposer des supervisions multiformes (tutorat, coaching), promouvoir la pairagogie (groupes de travail, groupes de secteur), mais surtout encourager beaucoup plus fortement qu’aujourd’hui la réflexivité (analyse de pratiques professionnelles, co-développement, qui sont par ailleurs des modalités puissantes pour créer des cercles d’appartenance et lutter contre l’isolement) ;
  • à un niveau collectif : mettre en place de vrais circuits de médiation en établissement.

       La médiation, levier puissant d’amélioration et de régulation dans nombre d’entreprises privées, est encore un mot absent du vocabulaire de notre ministère. Ou plus exactement il ne recouvre pas le même sens chez nous qu’ailleurs : par exemple le médiateur académique donne un avis sur les litiges entre usagers et agents ; la médiatrice de l’éducation nationale est saisie en cas de désaccord avec une décision administrative. Bref, quand nous parlons communément de médiation, ce n’est pas au sens où je l’entends ici : technique de dialogue social utilisée pour traiter en équipe des situations de conflits (micro ou macro) et aboutir à des solutions acceptées et constructives. Ainsi ce qui semble manquer dans le système scolaire actuel, c’est davantage une volonté institutionnelle d’accompagner par de telles techniques de médiation des collectifs en situation de crise. Sur ce sujet comme sur d’autres, le collectif qu’est un EPLE n’est pas suffisamment reconnu, ni pris en compte comme unité constitutive du travail et du développement de chacun.

            Pourtant, en déployant de tels dispositifs de médiation en établissement, l’institution enverrait le signal clair et fort que l’EPLE demeure à ses yeux le lieu premier de tout apprentissage individuel et collectif. Un collège ou un lycée qui traverse une crise de contestation de l’autorité n’en demeure pas moins une organisation apprenante, à ce titre capable d’amélioration et de résilience.

                                                                                   Cécile SENABRE

                                                                                   Principale de collège

                                                                                   Académie de Rennes

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